French (Fr)English (United Kingdom)
There are no translations available.

Exposition

«·Il faut encore porter du chaos en soi

pour pouvoir donner naissance

à une étoile dansante·», Prologue, 5

Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche


L’art de Jarek Piotrowski s’apparente à celui des grands illusionnistes, un «·art magique·» fortement imprégné de l’univers de J.E. Robert-Houdin, créateur d’automates, également inspiré par la littérature de la fin du XIXème siècle mêlant fantastique, mysticisme et symbolisme avec des héroïnes telles que Hadaly et de célèbres «·mortes amoureuses·» ressuscitées. Avec ses «·Dolls·», véritables «·andréides·» dotées de boîtiers optiques, praxinoscopes et lanternes magiques projetant des personnages animés, J. Piotrowski s’inscrivait déjà dans cette tradition alliant la mécanique au merveilleux. Ce jeu de projection de mondes imaginaires et oniriques, il le poursuit à travers «·Alice dans les ténèbres·», 2èmevolet de son exploration de l’œuvre «·Alice au pays des merveilles·», née de la plume du mathématicien Lewis Carroll, qui l’avait déjà conduit à créer une atmosphère oppressante avec la série intitulée «·Wis(c)h me not·». La série «·Alice dans les ténèbres·» est construite comme un théâtre d’ombres où se jouent des scènes d’une dimension dramatique amplifiée, comparables à l’ambiance sombre et angoissante enveloppant l’une des gravures extraite des célèbres «·Caprices·» du grand maître de la peinture espagnole Francisco de Goya·: «·Le sommeil de la raison engendre des monstres·». Ces ombres, œuvres géométriques sculptées tels des retables ou dentelles pouvant également s’assimiler à des scènes mythologiques décorant les céramiques grecques à figures noires, révèlent à la fois des présences spectrales inquiétantes et les reflets d’une âme prisonnière et tourmentée. Jarek Piotrowski distille et décode autant les ambiguïtés que les dualités qui jalonnent ce conte d’une féérie apparente. Il nous livre quelques pièces manquantes du puzzle, les clés ouvrant ce royaume de l’inversion et de l’absurde, dans lequel comme l’a écrit Arthur Rimbaud·: «·Je est un autre·» et le temps a suspendu son écoulement. Le voile sur les mystères du rêve d’Alice et les zones obscures de son subconscient, est ainsi levé. Devenue divinité chtonienne, sous l’emprise d’Hypnos et Thanatos, Alice perce «·ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible·» (Aurélia, de Gérard de Nerval), des miroirs par lesquels «·la mort va et vient·» (Extrait d’Orphée, pièce de Jean Cocteau). Elle est entraînée dans un «·…souterrain vague où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figurent gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes …» (Aurélia, de Gérard de Nerval). On la devine sans la voir, car selon le mythe d’Orphée, si on la regarde, «·elle disparaît·». Seules les traces de son passage dans ce labyrinthe se distinguent. Aussi, pour discerner la jeune fille, Jarek Piotrowski introduit une analogie entre Alice et le lièvre de Mars, un animal se confondant avec le croissant lunaire. Cet astre étant un symbole féminin, associé à l’au-delà, on peut considérer que s’est opérée une fusion entre Alice et le lièvre de Mars, une métaphore incarnant le cycle perpétuel de la régénération, de la métamorphose, phase de croissance et décroissance. Ainsi, l’artiste nous plonge dans les ténèbres d’une Alice confrontée à ses propres démons personnifiés par certains protagonistes du bestiaire de Lewis Carroll surgissant telles des chimères effrayantes qui orchestrent et épient avec délice le spectacle morbide de «·l’innocence·» dépecée, un corps soumis à un rite sacrificiel macabre. Une vision mystique d’une Alice/lièvre, martyr, dont les entrailles et «·le cœur supplicié·» sont présentés sur l’autel, prêts à être dévorés. Ainsi, Alice traverse l’épreuve des ténèbres comme une quête initiatique, et doit se sacrifier pour survivre·: «·Meurs et deviens·» (J.W. Von Goethe). La clef de cette notion de mort et de renaissance est la représentation du cœur et son double inversé qui semble être une carte à jouer vivante, une source de vie dont les racines jaillissent de toute part. En outre, au milieu de ce dédale, Alice fait face à son double, le visible et l’invisible réunis comme deux «·vases communicants·», une forme d’unité primordiale recomposée.

Ces mondes chaotiques façonnés par notre esprit apparaissent comme une échappatoire, car des ténèbres peuvent jaillir la lumière. Aussi, à travers «·Alice dans les ténèbres·», Jarek Piotrowski invite ses «·spectateurs·» à une représentation cathartique.

Par la combinaison d’un style atypique, d’une imagination fortement déployée, l’incorporation d’un symbolisme fort et foisonnant, Jarek Piotrowski conçoit un mécanisme artistique puissant, d’une rare monumentalité.

 

Chrystelle Guerrero-Calendini

Jarek PIOTROWSKI
ALICE DANS LES TENEBRES
Installation
Du 18 novembre au 18 décembre 2010
Thumbnail image
VOIR LES PHOTOS
BIOGRAPHIE