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Exposition

Lancri : le vœu de mouvement

L’histoire est un peu celle d’un magicien égaré dans les dédales de Lewis Carroll. La fuite a été éperdue, mais les esprits sont là, enfin retrouvés. L’univers de Lancri voyage, il est inutile de chercher à le saisir. Nous élirons donc domicile dans le no man’s land de Facteur, acceptant de rencontrer la jambe de la Reine, un bout de chapeau du lapin, un rayon de roue qui scintille encore après sa course. Ces éclatements très structurés font confiance à la diffraction de la lumière : Lancri la travaille, la pétrit, la pétille. Il l’invente au tout venant, la tourbillonne, l’effiloche cruellement, l’exaspère (ces rouges écarlates), la durcit, l’exalte, et d’un coup ce sont ces bleus réconciliés avec la troisième porte des Enfers. Il lui lance de douces sommations, d’hypnotiques ordres de levées. Mais le sens de la marche est totalement invisible.

Au rang de peintre, il préfère celui de scénariste. Plus, Lancri distille du David Lynch et un fond opaque de Bergman. Puis il déborde : l’encre coule, les ombres s’épousent : coulures, flaches qui s’arrogent des goulettes dans la gaze, la jute, le papier mâché, le journal flétri, des lins portés au pressoir de la couleur. Ici, un bleu-rouge est né : c’est le bleu-rouge Lancri. Les halos rappellent ceux des clichés de la médecine invasive, sauf qu’ici l’invasion impulse le monde. Les films se superposent, au pas de course, on ne sait plus quoi regarder. Cette accélération cinématographique épuise le remuant spectateur, affligé de ne pas attraper le train en marche de ces histoires en chassé-croisé, et le gouffre ouvre encore sur une estompe vermeille. L’homme au chapeau melon l’a laissé au-dessus de lui : il a aussi perdu sa jambe gauche, toute rose, en route, rattrapé in extremis par une brouette déterminée à dépasser le mur du son. Sur ses personnages en pièces détachées, une rotule s’illumine, un nombril hurle au carrefour de l’homme, les attaches des épaules, des coudes flageolent, le monde est cette sourde sarabande de mouvements qui s’achèvent dans un passage des gués. Frontières anéanties ? Aucun arrêt n’est concevable – aucun car la mort passe, éblouissante.

Lent cri : celui du monde à son recommencement. Peu importe si Mars est inhabitable, si les grands écrivains ont abandonné la planète Nobel : leur demeure est fondée au crissement de manuscrits cartonnés. Les rondes de VELO sillonnent des circuits infiniment reconduits : non pas ceux des errants mais ceux des intrépides assoiffés de danses, buveurs impénitents de couleurs cotonneuses, avaleurs de cycles stridents : en des saisons d’art brut, peut-être, aubes délayées dans une Lactance majeure, surtout, celle du vœu de mouvement.

Samia KASSAB

Octobre 2011

Jean LANCRI

"Premiers pas dans l'art brut du meurtre"
Dessins

Du 17 septembre au 15 octobre 2011
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