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Exposition
Jean LANCRI
VELO VEL LOVE
Peintures & dessins
du 10 décembre 2005 au 14 janvier 2006
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BIOGRAPHIE

Le Cycle de Cheval à Vélo.


Depuis 1992, Jean Lancri prend plaisir à jouer ; à se jouer de son identité en affectant de se glisser sous la peau d'un artiste fictif.
Jean Lancri ne s'avance plus dorénavant qu'en prenant le masque de feu le Facteur Cheval, un facteur qui se trouve ainsi ranimé bien malgré lui. Ce jeu forme désormais un Cycle ouvert, toujours en mouvement, que Jean Lancri s'amuse à nommer Le Cycle de Cheval à Vélo. Que l'on ne s'étonne guère, dans la présentation de ce Grand Jeu, de voir l'auteur de ces lignes ne parler de lui-même qu'en troisième personne.

Dans un Cycle où l'identité vagabonde (et même quelque peu se dévergonde), où elle se déprend d'un Lancri (alias au vrai N'Importe Qui) pour emprunter les traits (ainsi que la monture) du Facteur Cheval, comment pourrait-il en être autrement ?


De quoi s'agit-il donc dans le Cycle de Cheval à Vélo ?

De lettres et de rien d'autre. De lettres qu'un facteur s'en va distribuer et d'un facteur qui n'accède à l'être que par les lettres. D'un Facteur qui ne prend corps (électivement, corps de Cheval) que par le biais d'une série d'étranges missives qu'un farceur de peintre s'est amusé à transformer en tableaux. Au sein de ce Cycle, ces insolites espèces d'épîtres constituent les Collections du Facteur Cheval.

Les œuvres exposées dans la galerie Popy Arvani, pour certaines reproduites ci-contre, en font bien entendu partie. Jean Lancri est entré dans la fabrique du Cycle de Cheval à Vélo le jour où il s'est avisé que VELO n'était autre que l'anagramme de LOVE.


Selon lui, le mot français VELO serait hanté par le fantôme de l'anglais LOVE : un peu à la façon dont l'inconscient logerait dans les plis du conscient. Fantaisie alors a pris à Jean Lancri d'organiser le retour de ce revenant-là. Et c'est ainsi que, au fur des expositions (et pour le seul temps de celles-ci), fut ressuscité Ferdinand Cheval, autrement dit, le célèbre bâtisseur du Palais idéal, celui qui, de 1836 à 1924, vécut dans la Drôme, au petit village d'Hauterives,. Jean Lancri a ainsi décidé de redonner vie, moyennant lettres et peinture, au modeste facteur rural qui fut si cher, en son temps, à André Breton ainsi qu'aux surréalistes. Pourquoi diable avoir remis en scène (et en selle) ce Facteur Cheval ? Répétons-le : d'abord pour jouer avec les lettres de son patronyme, avec celles de son sac et de son vélocipède : à seule fin d'y mettre au jour les lettres de LOVE sous-jacentes à celles de VELO. C'est donc bien ce Facteur-là qu'il faudrait imaginer, juché sur son drôle d'engin (c'est-à-dire sur son LOVE de VELO ou, si l'on préfère, sur son VELO de LOVE), comme on le voit sur les tableaux reproduits.

Depuis 1992, année de la première exposition du Cycle, et avant de s'en venir faire une halte dans la galerie de Popy Arvani, notre Facteur aura promené son VELO en diverses expositions, performances ou conférences, dans huit pays différents. Au cours de ses pérégrinations, son " message " n'aura guère varié. Partout le Cycle de Cheval à Vélo s'est appliqué à ne poser que la question suivante: qui, du Facteur ou du vélo, impose à l'autre sa volonté ? En effet, quand ce Facteur Cheval revenu de la sorte à la vie appuie sur les pédales, sans doute croit-t-il gouverner sa bécane. Mais il suffit de bousculer un peu l'ordre des lettres du mot qui assure son déplacement (de changer de langue, également, afin de passer à l'anglais), pour constater que c'est le VELO (alias LOVE incognito) qui fait la loi. En d'autres termes, si c'est bien Cheval qui pédale, n'est-ce pas à l'évidence EROS qui, par VELO interposé, accomplit la tournée du facteur ? L'unique ambition du Cycle aura donc été de mettre cette question-là en éclat.
Autant dire, en éclats. Sans négliger, bien sûr, les nombreux éclats de rire qu'une telle machinerie linguistique ne pouvait manquer de susciter.

L'accession de Cheval à Vélo au rang du visible demeurerait de ce fait indissolublement liée à l'aléa de quatre lettres. Surgi d'un retournement de mots, issu de la mutation de LOVE en VELO (et vice versa), notre Facteur camperait donc une figure d'animal à cheval. Toujours plus ou moins à cheval sur visible et lisible, à cheval sur dessin et peinture, à cheval sur graphisme et picturalité. A cheval sur humanité et animalité : est-il besoin d'ajouter que l'animalité n'est ici qu'une métaphore pour la profondeur de l'homme ? Que voit-on dans les œuvres du Cycle ? Le plus souvent ceci: notre Facteur fourrant son visage dans un museau de cheval. Quant au guidon de sa bicyclette, sa forme se métamorphose volontiers en celles d'une femme des plus aguichantes. Ainsi s'accomplit le change de VELO en LOVE. Ainsi surprend-on le plus souvent notre Facteur en train de s'adonner à l'une de ses activités favorites : le voyeurisme.

Quelques mots pour finir sur les techniques employées. Uniquement de la peinture acrylique et de l'encre de Chine appliquées sur de la toile, du papier ou du carton, des bandes de gaze ou de plâtre. Petit détail : à bien y regarder, on s'apercevrait que le dessin des roues du VELO est presque toujours réalisé au pastel gras. L'image de ces roues n'est en effet rendue visible que par l'impression d'un pastel à la cire au moyen d'un fer à repasser bien chaud. Quelle est la conséquence d'une telle procédure ? L'image des roues ne se fait alors qu'à l'aveugle. Elle ne se produit qu'au plus profond de la nuit (celle qui s'enfouit, durant l'impression, sous la semelle du fer à repasser) : dans les ténèbres du regard comme dans celles de l'esprit. Prenant modèle sur l'activité érotique tout comme sur l'activité langagière qui transforme clandestinement VELO en LOVE et LOVE en VELO, ainsi tourne la roue.

Ainsi s'effectue son empreinte: à l'instar du travail de l'inconscient selon Freud. On aura compris que le vecteur principal du Cycle de Cheval à Vélo, son véritable facteur, bref, son indispensable cheval, n'est autre que le langage. " Il n'y a pas de hors-texte ", soutenait naguère Jacques Derrida. L'auteur du Cycle de Cheval à Vélo n'aura pour sa part cessé de s'interroger : y a-t-il une sortie possible hors de la langue ? Y aurait-il (grâce, par exemple, aux coulures de la couleur) du hors langage ? La question reste ouverte ; tout comme reste ouverte, fichée en son cœur, celle du désir.
" Désir, voyageur à l'unique bagage et aux multiples trains ". Ainsi parlait René Char. En a-t-on jamais fini avec ses bagages de langage ? En aura-t-on jamais terminé avec ses lettres, pour ne rien dire de leur facteur ? Tel ne serait-il pas, somme toute, le fin mot du Cycle de Cheval à Vélo ?

Dernier point : un grand nombre des expositions récentes du Cycle porte comme sous-titre Fragments des collections du Facteur Cheval. Or ces dernières rassemblent les objets les plus hétéroclites. Car notre facétieux Facteur collectionne volontiers les Caresses, les Sourires ou les Regards, quand ce ne sont pas, entre autres Fictions à façons, des Leçons de Sauts à la corde, voire d'Escarpolette ou de Diabolo ; ou bien encore des Manières de (faire) tourner la tête, ou même de singulières Promenades où le Facteur s'entête à faire du vélo en marche arrière. Mais le fil qui relie ces objets porte toujours la marque d'un transport privilégié, celui du vélocipède, soit, de ce simple fait, d'un transport qui se veut délibérément amoureux.

Donnant parfois le change, ce transport n'aura donc fait qu'échanger les lettres de VELO pour celles de LOVE. Tout au long du Cycle, il n'aura fait que circonscrire le O de LOVE et de VELO.