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Exposition
Adrien BONNETERRE
CORPS ET DE-CORPS
Peintures
du 26 janvier au 16 fevrier 2008
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BIOGRAPHIE

Le sentiment animal de la peinture dans les oeuvres d'Adrien Bonneterre

Seuls les animaux sont profonds.

G. Deleuze.

Once upon a time.

Des couples d'enfants pales et légers promènent leur séduisante cruauté de tableau en tableau et formant un cortège, conduisent Flo la mariée au festival des loups où l'attend son fiancé le Grand Lapin blanc. Après la cérémonie, ils embarqueront tous à bord du navire-baleine pour le pays d'éros et thanatos.
Face aux tableaux d'Adrien Bonneterre nous serions tentés de suivre le fil rouge des contes merveilleux. La condition fondamentale du récit fantastique d'après V.Propp, repose sur le manque, le gauchissement, l'accident, l'imprévu néfaste, lesquels faisant irruption au sein d'une situation établie comme un diabolus in musica dissonant et farceur, en appellent à une nouvelle économie de l'insolite et de la· métamorphose.


" Corps et dé-corps " est le titre de l'exposition : dé comme dés-organiser les corps figurés, dé-faire l'ordre de leur apparence selon les termes d'une rhétorique plastique à l'image du processus créatif même, nourri de recouvrements, d'épaisseurs, et de transparences, polarisé entre le pérenne et l'éphémère.


Couleurs/coulures fluides et diaphanes déposent leur substance par couches superposées, le hasard de leur origine enfin dompté. De ce geste pulsionnel et pulsé naissent signes et formes/figures, blasons d'un bestiaire spéculaire qui nous impose son altérité, à la fois attirante et dérangeante.
Quoi de plus interrogateur en effet que de convier loups, lapins et baleines, puissants médiateurs vers le primitif refoulé· et l'animalité à l'état sauvage, dans l'univers de la peinture, cette cosa mentale sans cesse aimantée par les forces obscures d'une vitalité et d'une sensibilité magnétiques (...)

Dans cette exposition les animaux installent l’envers du décor. Ils bousculent toute bienséance par leur profondeur instinctive et par le silence énigmatique de leur regard et, souverains, ils émergent parés de vert et de rouge- le gueules héraldique- qui symboliquement habille les représentations de la  gueule d’ombre , et aussi les loups d’Adrien Bonneterre. Tantôt manifeste par des aplats informels en cohésion avec les textures du champ pictural, tantôt par des traits mouvants , vibrant de toute l’énergie de la bête, le corps animal est porté par un schéma corporel motivé  accentuant la partie du corps qui endosse une fonction distinctive, selon les règles représentatives des anciennes civilisations. La gueule du loup exagérément allongée dénote ainsi son appétit féroce qui, transposé, serait apprivoisé en énergie créative.
Des graphismes en zig-zag zèbrent l’enchevêtrement des zones chromatiques, des formes triangulaires de toute taille rythment d’un ton saccadé la fluidité poreuse de la composition. Semence vitaliste des dents, menace des mâchoires redoutées, ces triangles sont l’empreinte du loup, son image métonymique et magique.
L’ombre du Petit Chaperon Rouge leste le voile de la Mariée et oriente la solution de la fable vers une fin qui n’est pas irrévocable : mangée mais rendue à la vie, la jeune fille inaugure une nouvelle naissance pleine et solaire, une véritable co-naissance.
Le loup qui habite la peinture d’Adrien Bonneterre est à la fois un et multiple. Son essence totémique stable et unitaire anime toutes ses épiphanies particularisées.
Le peintre aussi est partout.
Il est l’acteur/acté et le premier spectateur de ses propres fantasmagories.
Il est  l’imprévu et la maîtrise du geste ,
le tracé décidé qui sillonne les surfaces de peinture étale,
le contour ferme et ses altercations avec l’accident
Il est la mariée, le loup et la baleine, l’enfance prometteuse, son enracinement et son devenir, la jeunesse intrépide.

Loup, lapin , baleine : Charles Perrault, Lewis Caroll et Herman Melville s’en sont emparés pour en proposer des avatars littéraires issus d’un fond animiste archaïque qui structure le psychisme enfantin et continue de nous faire signe par la suite. De l’Egypte ancienne aux Indiens du Canada en passant par la Chine, la Grèce et Rome, les manifestations de ces animaux symboliquement polyvalents nous confrontent aux problématiques de la mort initiatique, de l’interdit et de la connaissance, ainsi que de l’élément aquatique, primordial entre tous. Les trois animaux que Adrien Bonneterre privilégie dans cette série de peintures, partagent la fonction d’animaux psychopompes et sont associés selon différentes modalités au mythe de la Caverne ou de la  Bouche d’ombre, de la mort et de la renaissance.
La gueule du loup ou de la baleine est le lieu d’une mort symbolique. Le Petit Chaperon Rouge et Jonas, après que les mâchoires féroces eurent été refermées sur eux « en un tour de gueule », ont été restitués à la lumière, appelés à une seconde naissance.
Le lapin, animal nocturne et chthonien est pour cette raison le compagnon de la Lune et relié à son univers aqueux. Héros civilisateur possédant la connaissance, il prête sa semblance à Osiris au moment où le corps fragmenté du dieu est jeté dans le Nil et il ressuscite en tant que loup pour vaincre son frère. Chez les Indiens du Grand Nord canadien, le Grand Lapin est le frère du Loup et règne à l’ouest, au pays des esprits. Hadés porte un manteau en peau de loup et chez les Etrusques le dieu des morts a des oreilles de loup. Il est associé à Apollon Lykaios car il voit dans la nuit obscure et à Zeus Lykaios à qui on offrait des sacrifices humains contre la sécheresse. Mais c’est autour de la gueule carnassière que se tissent les images archétypales du jour et de la nuit, de la vie et de la mort de la dévoration et du rejet. Dans les peintures d’Adrien Bonneterre le rouge du sang et sa complémentaire le vert de la nature ressuscitée, sont les annonciateurs du loup tout comme les graphismes dentés, frissons de sens qui, rapides et aigus parcourent la peau de la peinture et inscrivent la démarche de l’artiste dans la filiation de Klee, de Tàpies ou de Basquiat. Ces  signes amplifient la nature plurielle de chaque œuvre en se reférant à la totalité du vivant à l’instar des croix de Tàpies qui relèvent d’une sorte de  théologie naturelle, dans le sens littéral.
Proche de Chagall, de ses animaux hybrides et de ses mariées aux voiles vaporeux et en joyeuse lévitation, l’univers de Adrien Bonneterre est néanmoins empreint d’une singulière gravité. Une angoisse flottante caresse les formes suaves et glace l’innocence juste avant la menace.
Si des artistes actuels tels que Barry Flanagan, Damien Hirst ou Wim Delvoye pour ne citer que les plus radicaux d’ entre eux convoquent l’animal afin de rendre évidents certains rapports de sauvagerie parmi les humains et des humains envers leur environnement naturel, Adrien Bonneterre préfère déplacer la sauvagerie de la bête vers son acception sublime, son intimité culturelle. Hypostase à la fois subjective et universelle de son être créateur, l’animalité que le peintre nous propose, rappelle ce passage de la huitième Elégie de Rilke :
-S’il existait une conscience à notre ressemblance dans l’animal très assuré qui s’en vient à notre rencontre de l’autre direction-alors c’est lui qui nous entraînerait nous emportant dans sa démarche. Mais non : son être à lui est infini, retenu par aucun état, aucune circonstance, pur et semblable à la vision de son regard
La part de ce qui résiste insondable au delà du  regard est relayé par les univers mêlés des œuvres d’Adrien Bonneterre et rejoint dans sa troublante vérité la liberté démiurgique de sa peinture.

Malvina Bompart